corail ! A toi... D'ici

A toi d’ici



Toi ! As-tu bien saisi le sens de mon aventure ? J’ai connu bien des péripéties. J’ai eu chaud.
J’ai eu froid. J’ai subi les chocs violents d’air et eau mélangés. J’ai connu les lents
mouvements de la Peau de la terre qui craque et jette, parfois, quelque part ses feux brulants
en grondant. J’ai subi les assauts des étoiles. Non ! Pas celles du ciel ! Celles qui rampent sur
mon dos, en bandes, en armées. Cela m’irrite et plus elles sont nombreuses, plus mes couleurs
s’en vont.
Mais je suis des milliards. Tu me trouves grand et beau. Tu me vois dur ou tendre. Tu
regardes dans ton oeil scintillant de cyclope mes chatoiements et le balai de mille locataires
tous plus artistes les uns que les autres. Bouches pointues, bouches rondes, bouches à dents,
bouches à bec, bouches tricoteuses, rasoirs, dards, épines, poisons, pinces, antennes,
tentacules, carapaces, éponges, écailles, tu les vois et tu les penses artistes ? Il y en a bien un
ou deux qui te font peur mais, globalement, tu te saoules de ton apesanteur, tu te grises de nos
couleurs. Nos apparentes beautés sont, d’abord, des tenues de combat. Dessins, formes et
couleurs sont des leurres pour survivre ou pour tuer. Nous ne sommes que la Vie dans le
liquide océan… Eux et moi.

Depuis peu de temps, un peu plus d’un de tes siècles, aux pirogues légères succédèrent
d’innombrables et de plus en plus grandes formes. Certaines glissent encore mais la plus part
hachent l’eau de leurs hélices. Mes eaux s’obscurcissent par endroit de ces mouvements
incessants. Des choses immondes tombent de ces ombres fugaces. Ce n’est pas assez. Tes
rivières, tes villes, tes usines, tes champs rejettent mille poisons. Mais ce n’est pas assez ! Tes
flèches filent et frémissent dans les corps incrédules. Tes ancres raclent, creusent, cassent. Tes
filets, tes hameçons, tes lumières attrapent, attirent en grand nombre mes hôtes. Mais ce n’est
pas assez encore ! J’ai chaud. Cela va finir par me stresser et je jetterai ma copine l’algue. Ce
qui équivaut à un suicide pour moi.
Ceux qui m’entourent et moi-même n’avons jamais été moins que généreux avec toi. Quand
tu n’étais rien d’autre qu’une vie ravissant quelques unes de nos vies, nous étions sans crainte
et nous nous sentions forts. Certains d’entre nous accueillaient avec bonheur l’âme de vos
anciens et vous faisiez de nous des tabous, des totems et vous nous gardiez en forme et vous
parliez de nous à la veillée à vos enfants.
Mon jeune ami, humain qui n’a que peu de millions d’années, pourtant, en deux siècles, tu as
fait des choses terribles sur terre et dans l’océan.
Ici, à quelques encablures de ton Caillou, tout à coup tu découvres le mal être de toute ma
famille.
Tu décides qu’il faut me protéger. Je t’en remercie. Je sens poindre, enfin, en toi un peu
d’intelligence et un soupçon de générosité pour quelque chose d’étranger à ta famille. As-tu
bien compris la portée de ton geste ?

Toi le Néo-calédonien, as-tu bien saisi qu’au nom de l’humanité toute entière ton devoir est
de me préserver ? Es-tu prêt à ne plus me salir, m’empoisonner, me ratisser, tuer, souvent
pour rien ou pour le seul plaisir, beaucoup de mes hôtes ?
Toi le Kanak te sens-tu capable d’abandonner les sales manières de ceux venus d’ailleurs et
que tu multiplies dans certains cas ?
Et vous, ceux venus d’ailleurs, vous sentez-vous gardiens de mes mangroves, de mes lagons,
de mes tombants et de tous ceux qui les occupent, après tout ce que vous avez fait ?
Les vieux ! Réapprendrez-vous aux jeunes les secrets des eaux claires ? Parlerez-vous du
temps où nulle fumée méphitique n’envahissait le ciel, où nul poison ne s’échappait de la
terre, où nulle méduse en toc n’étouffait les tortues, où l’eau de vos rivières était encore
profonde, laissant des vies s’ébattre en eau saumâtre pour le plaisir des clans et de vos yeux
d’enfants ?


Moi le corail, celui qui te protège des fureurs océanes, qui fait de ses lagons des lieux de vie
intense, je ne sais trop ce que veut dire Patrimoine Mondial de l’Humanité. Je sais cependant
une chose : si tu fais ce que tu prétends vouloir faire, les vies, les couleurs reprendront du
volume. Je sais aussi que, déjà tu triches, quelque part dans le Sud j’ai goûté l’amertume,
ailleurs dans l’Ouest tu m’entailles la chair et dans l’Est ma vue se brouille de terre dévastée.

Moi ! Le corail vivant, je te le dis solennellement mes couleurs sont ta vie tout autant que ton
souffle. Le jour où il ne restera que la blancheur de mon squelette, soit prêt à en faire ton
linceul.
Mais tu as mieux à faire, je veux bien que tu m’aides. Je t’ai nourri longtemps et te nourris
encore. Alors ! Que tes enfants, tes femmes, tes hommes, jeunes adultes ou anciens
bureaucrates, cultivateurs, plaisanciers ou pêcheurs, toutes et tous sans en omettre aucun, vous
êtes devenus, par votre volonté, détenteurs d’une parole, gardiens d’un peuple minuscule au
nom de la Vie.
Sauver mes couleurs océanes c’est aussi préserver ton espèce. Peut-être te survivrai-je ? Peut-
être pas ? En tout cas soit remercié de ton geste. Maintenant il te reste à l’assumer……

Didier BARON
03/06/2009
BOURAIL.




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