Nouvelles des fronts

VISEE INUTILE
« - Plume d’aigle à Autorité …
- Je vous reçois 5/5
- R A S
- ………. Restez en position. Fin de com. »
Fred coupa l’émetteur récepteur et regarda Jami. Fred fit un signe négatif de la tête.
« -Bon sang ! Grogna Jami, un parachutage dans un vent de sable, 4 jours de marche nocturne, deux jours ici, pratiquement enterrés vivants et pas d’action en vue….
- Ils doivent savoir ce qu’ils font
- Ouai ! Tu parles ! Tu te souviens ? A la frontière Pakistanaise, ils nous ont fait tirer sur des civils.
- Qu’est-ce que t’en sais ?
- T’as pas vu les femmes et les gosses dans ta lunette ?
- Si, si ! Mais les ordres étaient de tirer sur les mecs à dos de mulet et c’est ce ce que nous avons fait, non ?
- Bien sûr ! Mais une fois la mission terminée t’as pas entendu les bombes péter ? Ils voulaient juste être certains que l’objectif était atteint et, ensuite, ils ont nettoyé tout le reste.
- Ecoute Jami ! C’est la guerre ici et c’est l’O N U qui l’a décidée. On obéit aux ordres point barre.
- L’O N U, l’O N U ! Elle a l’accent du Texas ton O N U. Mais, bon, on ne va pas se chamailler, c’est toi le patron sur ce coup. On ne sait pas ce qu’on attend de nous. »
Jami et Fred sont deux commandos tireurs d’élite, rompus à toutes les formes de combats et de progression en milieu hostile. Rendus au point GPS qui leur a été donné dans l’avion, ils se sont construit un abri en pierres qui les dissimulent de toute part. Ils dominent une petite vallée désertique au fond de laquelle serpente un sentier poussiéreux. Leur fusil qui peuvent tirer avec précision des balles de 12,7 à plus de 1500 mètres et percer le plus sophistiqué des blindages à 300 mètres, sont pointés vers ce chemin qui n’est qu’à 2-300 mètres en contrebas. Les ordres reçus sont : mettez-vous en position au point GPS et attendez les instructions. Pas d’initiative.
Dotés d’un matériel ultra sophistiqué (PM UZZI pour des dégagements périlleux, Glock 11,43 à balles au tungstène qui peuvent arrêter un véhicule, un assortiment de dix grenades à main et deux grenades à fusil, un appareil de télécom rechargé au solaire muni d’un dispositif de brouillage indécodable et 22 Kgs de rations cahets de sel et eau) Ils ont consommé un peu moins de la moitié des rations et font mieux qu’un chameau avec l’eau, malgré les conditions extrêmes dans ce désert du Sud-Est Afgan.
« - J’ai quand même un peu hâte de rentrer à Kaboul, dit Jami, il me reste que dix jours au jus et j’ai même pas encore eu le temps d’acheter quoi que ce soit pour la famille.
- Stop ! On parle pas famille, temps qui reste et autre, en mission. Tu sais bien que ça déconcentre.
- Ben je vois pas trop ou y a matière à ce concentrer pour l’instant.
- N’empêche que ça doit être une mission de première… T’as vu à quelle vitesse Autorité nous répond ?
- Ouai, bof ! Y s’ont peut-être rien à glander au commandement ?
- T’oublie qu’on est entre100 et 150 sur le terrain en permanence.
- Eh ! ça bouge..
Les deux hommes distinguent un homme à vélo qui vient de la droite. Jami s’empare de ses jumelles pendant que Fred positionne son fusil et ouvre l’interrupteur. Il engage une balle dans le canon avec lenteur pour ne faire aucun bruit :
«  - Alors ? dit Fred
- C’est un de ces vieux enturbannés qu’ont voit surgir dans le désert et qui sortent de nulle part.
- Description pas de roman Jami. Fred tend le micro devant la bouche de Jami.
- Un homme entre 50 et 60, barbe blanche, turban gris des peschmergas, pas d’arme en évidence. Le vélo n’a ni porte bagage ni garde boue. Il porte des souliers en cuir noir et un pantalon noir aussi en fil avec des pinces à vélo, sa gandoura est blanche. Elle est roulée sur les cuisses. Il va tranquillement et se débrouille pas mal en roulant entre les cailloux. Pas d’autre signe distinctif.
- Plume d’aigle à  Autorité avez-vous reçu ?
- Bien reçu plume d’aigle. Ce n’est pas une cible, je répète ce n’est pas une cible. Restez en position. Terminé.
- Dis donc Fred, tu n’as même pas vérifié s’ils étaient au bout avant de me tendre le micro.
- Je voulais connaître leur niveau d’intérêt pour cette mission et c’est 100%.... Décidément je n’y comprends rien.
- Y a peut-être des moutons d’astrakan dans le coin et ils veulent peut-être qu’on en dégomme quelques uns pour qu’un gégène Gringo puisse offrir un manteau à sa mamie de L.A ?
- T’es con des fois, tu sais ?
- Faut bien passer le temps.
- Fred dans un chuchotement, merde j’ai pas éteint la radio. Il coupe le contact radio. Ils ont entendu ta connerie c’est sûr.
- Tant mieux comme ça y sauront que nous c’est plutôt largage, action, décrochage que niquer des pierres pendant deux jours.
- T’as pas remarqué quelque chose ?
- Quoi ?
- Le vieux passe en bas, là tu le vois ?
- Ben oui j’arrête pas de le suivre à la jumelle. T’as pas remarqué ?
- Son vélo…
- Quoi son vélo ?
- Y fait aucun bruit.
- Ah ! Jami descend légèrement ses jumelles… T’as raison…. Il est tout neuf et je te le donne en mil… C’est un Mountain Bike avec un amortisseur à l’arrière et des pneus ballons à gros crans. Je pari que le dérailleur est un Shimamo dernier cri.
- Jami rallume sa radio. Plume d’aigle à autorité le vélo est neuf. C’est un Mountain Bike.
- Bien reçu… restez en position.
- Fred éteint sa radio. Merde ça les fait même pas bander. Passe moi les jumelles des fois que ce serait une des cibles potentielles qu’on nous a désignées au premier brieffing.
- Tu te souviens de tous les visages ? Y en avait au moins 30.
- J’ai une bonne mémoire photographique.
- Peut-être mais maintenant tu le verras de profil ou de dos. En tout ça n’a pas fait tilt chez moi.
- Bon on attend. Dit Fred en reposant les jumelles. Peut-être bien qui va se passer quelque chose finalement ?
- On peut rêver.
Le ciel, éternellement bleu délavé commence lentement à s’obscurcir et quelques étoiles pointent le bout de leur nez. Les deux hommes préparent leur matériel de vision nocturne puis Jami se retourne sur le dos, enfile son sac de couchage et se confectionne un oreiller avec sa casquette en la bourrant de rations de survie. Il s’ouvre une grosse barre de céréale, prépare un cachet de sel et un verre d’eau.
- Fred ?
- Oui !
- Tu veux de la poudre de perlimpinpin ? (cette poudre est un produit dopant qui maintient éveillé pendant 48 heures sans aucune altération des capacités physiques ou sensitives)
- Non je me réserve ça pour la marche de retour… On connaît pas encore la drop zone.
- T’inquiètes pas y s’arriveront bien à nous faire courir pendant dix heures au moins.
- J’espère quand même que l’objectif ne débarquera pas de nuit. Le multiplicateur de lumière et l’I.R c’est pas terrible à 300 mètres pour une identification. Allez fait dodo mon p’tit frère dans 3 heures je te réveille…..
Fred, puis Jami et encore Fred firent une garde paisible. Rien n’avait bougé pendant cette nuit glaciale. Seul, un scorpion noir avait trouvé sympa de venir faire un calin au chaud près du couchage de Fred. Jami l’avait repoussé à deux ou trois reprises. Le combattant toutes pinces et queue dehors avait fini pas battre en retraite et renoncer à une nuit sous la couette.
Fred prépare la barre de céréale, une barre de chocolat et une boite auto-chauffante de café pour Jami puis lui secoue l’épaule. Jami s’éveille instantanément, jette un regard hébété sur Fred, qui ne bouge pas, puis repose sa tête sur son oreiller de fortune.
- Et mais ça sent le café ici !
- Je t’ai préparé ton déj.
- T’es une mère pour moi
Fred hausse les épaules
- Y a un jour où tu te sens en mission ?
- Ouai ! quand je vais chercher les croissants et les pains au chocolat en bas de chez moi.
- Stop !...
- Ca va, ça va ! Je sais
- Oublies pas ton cachet de sel ça va caillasser aujourd’hui.
- On se brûle la couenne tous les jours et on se la congèle toutes les nuits depuis qu’on est dans ce pays. Alors, t’inquiètes pas. Si je l’oublie le cagnard me le rappellera.
- Et regardes… Le vieux à vélo qui revient. Passes moi les verres.
Jami lui donne les jumelles
- Là je vais bien le voir de face.
- Y vient de la droite ou de la gauche.
- J’ai dit qu’il revenait, ça veut dire que c’est de la gauche.
- Oh ! excuses moi. T’as eu des nouvelles d’autorité ?
- Deux fois pour dire de pas bouger.
- Y pourraient nous passer de la musique en attendant.
- Nom de Dieu ! Allume ma radio. Chuchote Fred. Plume d’aigle à Autorité ?
- Je vous reçois parlez…
- L’homme qui revient sur le vélo n’est pas le vieux d’hier. C’est numéro 4. Jami aux côtés de Fred pose sa boite de café, prend son arme, engage une balle dans le canon, s’installe en position et pose l’œil sur le caoutchouc du viseur. Son fusil balie le chemin en une ou deux seconde et le viseur encadre le cycliste.
- Cible verrouillée 100%
- Je répète Autorité il s’agit de N° 4, cible verrouillée attendons instructions…..
- Restez en position. Maintenez la liaison ouverte et commentez ce que vous voyez. Des ordres vous seront donnés en temps et en heure. Bien reçu.
- Alors ? fit Jami l’œil toujours accroché au viseur.
- Rien on attend et on commente.
Fred tape sur l’épaule de Jami, passe son doigt sur la bouche et montre la petite LED rouge qui indique que l’émetteur est ouvert.
L’homme à vélo, s’arrête, pose l’engin à terre. Il regarde la crête opposée aux soldats. Il se trouve en contre-bas à une trentaine de mètres de la verticale de Jami et Fred. Il constitue une cible idéale. Il porte les doigts à sa bouche et siffle avec force. Le son strident percute plusieurs fois les parois rocheuses de la vallée. Fred scute la pente d’en face avec avec ses jumelles….. Une dizaine d’hommes apparaissent sur la crête.
- dix pax en face de notre position. Heu heu … ! Fred déglutit. Autorité autorité.
- Passez vous des mondanités et commentez capitaine.
- N°1, 2, 3 et le 4 en bas. Tout l’état major sous nos yeux, je prends mon arme.
- Restez en position
- Je prends qui ? demande Jami
- Prends al zawaridri c’est le troisième en partant de la gauche. J’engage OUSAMA.
- Pas de nom plume d’aigle seulement des numéros.
- OK
- Commentez…
- Ils descendent prudemment la pente et interpellent N°4.
- Vous pouvez entendre ce qu’ils disent ?
- Ca a l’air d’être un dialecte local. C’est pas de l’arabe.
- Etes-vous sûr de l’identification ?
- 100%
Un ronflement leur parvient de la droite.
- Véhicule en approche. Probablement un Land Rover au bruit.
- C’est sûr. Coupe Jami. C’est un châssis long.
Effectivement le Land Rover entre dans le champ de vision. Le véhicule poussiéreux s’arrête. N° 4 pointe son AK42 sur la voiture et s’approche lentement.
- Ouvrez toutes les portes et gardez vos mains bien en évidence. Crie le Moudjahidin.
- Ça va, on n’a pas d’arme répond le chauffeur.
- Faites ce que je vous dis.
- OK ! Let’s go ! S’adresse le chauffeur aux autres passagers.
Les portes s’ouvrent et quatre hommes et une femme sortent du véhicule les mains en l’air.
- C’est bon Jamal. Dit N°1. salut Steeve
- Salut Ousama, ça fait un bail..
- Comment va ta famille
- Impec, surtout depuis que j’ai offert à Alexandra la maison de ses rêves au Palmier de Dubaï, juste à côté de chez Brian. Alors les enfants sont aux anges aussi.
- Je vois que les affaires marchent
- Tu es pour quelque chose là dedans je crois
Ils éclatèrent de rire tous les deux et se firent une interminable accolade. La femme intervint
- Bon ! je voudrais qu’on ne traîne pas trop quand même.
Steeve : - Je te présente Lizzard Falcon de TVMonde, Joe son caméraman, et phil son preneur de son. Pour ce qui me concerne, voici la mallette que tu as demandée. Il y a les nouveaux comptes bancaires et l’outil de communication.
- T’es vraiment sûr que c’est indétectable. IL me l’a donné en main propre et IL m’a garanti que cet appareil ne fonctionnait que sur ses fréquences réservées à lui. Il y a un petit mode d’emploi avec, pour que tu ne tombes pas par erreur sur le pentagone ou le département d’état.
- Ils sont sûrs ces gens là ?
- Y a pas plus sûr qu’un journaliste. De toute façon cette interview passera par ton canal à toi.
Les trois journalistes sourirent en même temps pour rassurer n°1.
- De toute façon si nous ne respections pas notre déontologie nous ne verrions pas grand-chose des jours qui suivent, soit de la part de Steeve soit de votre part.
- Bien raisonné mademoiselle ?
- Madame.
- Pardonnez cet accueil un peu spartiate. Si vous le permettez je vais vous présenter mes frères et ensuite nous passerons à l’interview. Nous avons quand même du thé et quelques friandises à vous offrir.
Fred, éberlué, traduisait au fur et à mesure toute cette conversation en anglais sans lâcher l’œilleton de son arme.
- Aurons-nous des instructions, autorité. (L’autorité avait repris son a minuscule tant la colère montait en lui en vagues sourdes.
- Restez en position
- On attend qui, maintenant ? Le père Noël, Jésus en chair en os, pour tirer dans le tas ?
- Restez calme capitaine. Nous aussi nous attendons des instructions du haut commandement. Ils suivent vos commentaires comme nous.
- Dans ce cas… Dit Fred Welcome aboard général Ryley we are waiting for your instruction.
- Fred ça va, pas de conneries. Ici c’est le général Dupuis, vous êtes la crème de nos troupes, alors perdez pas les pédales. Que font-ils en ce moment ?
- Ils boivent du thé au coffee house du coin. La thermos est en acier inox et les tasses en argent. C’est du BCBG en plein désert. Tout ça sous des grands parapluies noirs très british qui rend inefficace notre ampli d’écoute. Vous savez qui est ce Steeve et qui est ce IL dont il a parlé.
- ……..
- Mon Général ?
- Heu aucune idée.
- Cible gringo à 100% chuchotte Jami
- Fred dites à Jean Michel de pas faire le con.
- Ne fais pas le con Jami
- C’était un Joke, Fred. Je crois même qu’on tirera sur personne dans cette mission. Tu te demandes qui est le IL ? T’es barjo ou quoi ? T’as pas compris ?
- Ben ! J’ai bien peur que si, mais c’est vraiment trop gros et je ne vois pas ce qu’on fout dans ce merdier. Général ?
- Oui ?
- Si les mongols déboulent on pourra leur tirer dessus ?
- …….
- On n’est peut-être là pour assurer leur protection hein ! Jami ?
- Ça m’en a tout l’air.
- Bon commentez les gars et arrêtez de mijoter.
- Je voudrais vous y voir on s’est mis une tonne de cailloux qui sont chauffés à blanc sur le dos. On est couchés depuis deux jours et deux nuits. On a tout le staff d’Al…. Oui c’est vrai pas de nom. On est des soldats, des commandos, notre boulot c’est l’action…
- Je sais, je sais mais c’est une mission spéciale placée sous l’autorité directe des supérieurs à l’autorité US. Commentez pas cela je rebranche le haut commandement…..
Au bout ça hurlait dans un anglais au moins du Bronx.
- Plume d’aigle à autorité pas de liaison, je répète, pas de retour
- Ici autorité nous avons eu une coupure, me recevez vous ?
- Cinq sur cinq
- Du nouveau ?
- TVMonde interview n° 1 et 2. Les autres se tiennent derrière. Les cibles à 100% demandons autorisation.
- Négatif… Restez en position.
- Bon ! Moi je me prends la poudre et je commence à plier. On est au cirque ici.
- Autorité à plume d’aigle le décrochage se fera au point hb n4 sur la carte n°2. Avez-vous compris capitaine ?
- Oui mon général.
- Comment va le sergent Renard ?
- Il s’énerve mon général.
- Je comprends
Jami verse la poudre qu’il mélange avec un peu d’eau dans son verre. Il repose sa joue sur la crosse du lourd fusil et s’essuie le front ruisselant de sueur avec son foulard.
- Bon on fait quoi là.
- T’énerve pas Jami. Si on n’a rien à faire c’est tant mieux dès qu’ils sont partis on met les bouts. Au fait t’avais raison, ça nous fait dix bonnes heures de marche.
- Putain ! J’ai chaud.
- Y a pas que toi
- Non mais là j’ai vraiment chaud
En bas les parapluies se repliaient, les mains se serraient, caméras et micros se rangeaient et les conversations étaient entrecoupées de rires.
- Merde alors ! C’est fini on fait quoi Fred.
Jami tremblait de plus en plus et ses yeux roulaient dans les orbites, un filet de bave glissait à la commissure des lèvres.
- Merde putain de chierie de merde
- Ça va Jami calme toi
- Mais y partent là. Tu vois pas ? 50 millions de dollars de prime qui partent dans cinq minutes et nous comme des cons à 5000 euros par mois on discute avec un gégène de mes deux. Mais je rêve, JE REVE, JE REVE.
Jami, tremblant de rage, poussait violemment les pierres et s’extrayait de leur abri.
- Bon Dieu général Jami pète les plombs. Demande instruction.
- …RESTEZ EN POSITION C’EST UN ORDRE
- Quoi ?
- Dois-je répéter capitaine ?
- Mais y se découvre !
- Restez en position.
Jami se lève, enjambe le rocher qui les dissimulait sur l’avant et descend au pas de course en criant :
« - Attendez moi, je viens avec vous attendez moi. Vous avez raison, On est les rois des cons lalère lonlon
N°1 fit signe à ses hommes de baisser les armes qui s’étaient instantanément pointées sur ce soldat hurlant, courant, trébuchant
- Mon général ? Autorisation de couvrir le Sergent Renard.
- Vérouillez le !
- Quoi ?
- J’AI DIT VEROUILLEZ LE.
- Mais c’est un de nos hommes ? dit Fred en décalant, malgré tout, son viseur sur Jami.
- ….
- Cible vérouillée 100%
- Ouvrez le feu et décrochez. Je vous attends au rapport demain à 5 heures.
- BBBien mon colo heu mon gén.
La déflagration puissante du fusil retentit sèchement dans la vallée. Fred, les larmes aux yeux, disparut en courant derrière la crète. Il ne releva même pas qu’aucun coup de feu n’avait claqué dans son dos. Il avait vu dans son viseur la tête de Jami exploser comme une pastèque. Il ne connaissait pas bien le Sergent Renard. Mais il savait qu’il ne s’en remettrait que difficilement et avait la haine après le Général. Il courrait comme un fou vers son point de récupération. L’écouteur était silencieux. De toute façon il n’y avait plus rien à dire. Sinon rentrer et oublier. Il ne comprenait plus rien de son métier, Pourtant, dieu sait que ces unités avaient une organisation exemplaire et d’une efficacité mondialement reconnue. Mais là…..
Il ne fit pas le rapprochement entre l’absorption de la poudre et la crise de Jami. Il ne se rendit même pas compte que c’était son sachet de poudre à lui.
Dans la vallée les regards étaient aussi interrogateurs. Seul N°1 était paisible.
-    Ne craignez rien tout va bien. Vous irez récupérer le paquetage de cet homme et surtout les moyens techniques et le fusil.
N°2 s’adressa à N°1 :
- Tu es sûr de ton coup ?
- Oui ! Ne t’inquiète pas. L’homme qui a fui n’est pas le bon mais ses officiers sont hors normes. Il va rentrer au bercail, on lui donnera quartier libre à Kaboul, il boira pour oublier qu’il a dû exécuter son copain. Il taira ce détail, par contre il ne se privera pas de dire qu’il m’a eu dans sa ligne de mire et que les Américains n’ont jamais donné l’ordre de tirer, la presse s’emparera de ça, Paris démentira mollement et la rumeur circulera. Tu vois c’est simple.
- Risqué quand même. Et Steeve, les journalistes.
- Ça valide aux yeux du soldat la complicité Américaine à mon égard et calme les appétits financiers de notre ami Steeve. Quant aux journalistes, n’oublie pas que j’ai la haute main sur l’interview donc on gomme la fille, les questions et on envoie un message aux croisés par le canal habituel. En route maintenant. Il faut récupérer ce cadavre et le lâcher sur une zone d’affrontement.
- L’élève dépasse le maître mon frère.
Ils partirent sur le chemin d’un pas paisible en devisant sur la grandeur du Prophète.
Le téléphone sonna dans le bureau du général.
- Allo !
- Ryley à l’appareil
- Bonjour mon Général
- Je peux vous poser une question ?
- Bien entendu.
- Y-a-t-il eu une opération le long de la frontière Pakistanaise dont je n’aurais pas eu connaissance ?
- Non, non, excepté une opération de récupération d’un de mes hommes qui s’était un peu perdu dans le désert. Il a erré six jours avant qu’on le retrouve.
- Il n’avait pas de GPS ?
- Il a eu un coup de bambou le deuxième jour de sa mission, qu’il n’a jamais remplie du reste et a envoyé balader tout son matériel. On l’a retrouvé par pur hasard sur un de nos points de décrochement.
- Ça ne vous ennuie pas si je vous renvoie la facture de kérosène ? J’estime en effet que, dans ce genre de situation, les frais son à la charge du pays dont les militaires dépendent. C’est à la page 217 de l’accord de coalition et en page 6 de la deuxième annexe.
- C’est sans doute une erreur de mes comptables. Je vais remédier à cela dès demain matin.
- Merci général, Passez une bonne nuit.
- Vous de même et bonjour à votre dame.
- Merci !
Le général Dupuis attrapa la bouteille de vin ouverte sur le bureau, saisit le verre à pied en cristal, le remplit et le bu d’un seul trait.
- Ce sont d’extraordinaires gestionnaires, de bon stratèges mais ils sont, culturellement, incroyablement légers. Pensa-t-il en posant ses souliers incroyablement luisants sur le coin de son bureau.

FIN

Jérusalem ville internationale .... en guerre

« J'ai mal, C'est quelque part dans le bas ventre. J'ai terriblement soif... Où est ma gourde ? J'essaie de bouger... Faut vaincre la douleur... Houhou ! Facile à dire. J'ai dû me prendre une balle ou un éclat. Mais où est mon groupe ? Ma gourde ? Bon rappelons nous l'exercice... Faire le point calmement. Ça c'est con comme conseil quand on baigne dans son jus et qu'on a envie de hurler. Pas attirer l'attention sur moi avant de savoir à quoi m'en tenir. C'est un ordre Sergent...
Millimètre par millimètre j'arrive à trouver un appui sur ce qui semble être un mur. Je ne me souviens de rien si ce n'est que ça pétait de tous les côtés. Ma pétoire crachait par rafale courtes sur les ombres, entourées d’éclairs d'en face et boum, trou noir, chute vertigineuse, silence. Maintenant, douleur, je m'entends souffler comme un bœuf et geindre quand j'ajuste ma position pour trouver celle qui me fera moins mal. Je n’ai pas encore ouvert les yeux. J'entends le ronflement de flammes mais ce n’est pas tout proche... A part ça, j'ai beau tendre l'oreille... Rien pas un bruit... Pas d'hélico, pas de rafales, pas de grenades, rien de rien... Ils m'auraient oublié. Pourtant y a cette odeur de cordite très forte encore. Je n’ai pas dû rester inconscient si longtemps. Ils ont dû me croire mort ? Ils ne m’auraient pas oublié donc...Donc Ils seraient morts ?


Mais que j'ai mal, faut que j'ouvre les yeux faire le bilan, soigner et retrouver mes hommes. Allez Ted ... Un effort... T'es pas mort encore... Y t'auront pas ces terroristes.
Mon casque devait être en équilibre instable en relevant la tête, il roule contre le mur et sur mon épaule, Ahaahaa ! La douleur explose irradie dans mon ventre... Je ne sens plus ma jambe droite par contre de nouvelles aiguilles viennent se planter dans le bas de ma colonne, ummmmm ! Bon Dieu de bon dieu. Mon sac où est mon sac, la trousse, la morphine les pansements.
Dur d'ouvrir les yeux, la poussière mêlée à la graisse de camouflage les maintient clos, à moins que je n'ai même plus la force de les ouvrir.
Allez Ted, te laisse pas faire. Ca y est un peu de lumière.... C'est rouge et jaune... ça doit-être le feu. Mes paupières s'ouvrent en grand ... C'est bien le feu.
Bon! Le bilan, je suis assis dans ce qui à dû être une maison, y a des gravats partout, de la fumée. Je me souviens j'étais dehors, j'ai balancé une grenade et j'ai sauté par une fenêtre juste après l'explosion. Harry me couvrait sur mon flanc gauche avec son M16, Phil et Luc fracassaient la porte et tiraient comme jamais on leur avait appris.
Dedans, les terroristes avaient prévu le coup de la grenade. Ils avaient une plaque d'acier derrière laquelle ils s'étaient protégés. A part un qui avait pas dû se replier à temps ils semblaient tous en bonne santé et on pouvait voir les AK47 tenus à bout de bras tirer dans tous les sens et puis chtong ! Salut Ted... Même pas mal. Enfin ça c'était tout à l'heure. Maintenant ??? Oh là là !
Je suis mal, ça glougloute de sang à l'aine droite et ma jambe droite a un drôle d'angle. Merde ! Y a quelque chose ou quelqu'un qui bouge devant moi... Mon flingue ? Mon Glock ? Mon poignard ? C'est en encore flou mais ça n'a pas l'air agressif, vu mon état je s'rais déjà mort. Allez ! Respire Ted. C'est peut-être Harry ? Comme y cause jamais ça peu être que lui. Je cligne le plus fort possible des paupières, ma vue s'améliore de suite. L'ombre est accroupie devant moi.
  • Bonjour GI !
  • Salut !
Ma vue est claire maintenant c'est un gamin... On dirait mon Francky en plus sombre et en plus beau. Ouai ! A douze ans mon poils de carotte est plein d'acné et il est affublé de cette inimitable gueule d'Irlandais pure souche. C'était bien la peine que je me mette avec une Italienne pour faire une pure copie de moi. Lui, y pourrait être Italien, Cheveux noirs, courts, une peau lisse et ambrée, des traits fins. Son tee-shirt kaki est un peu grand pour lui, son jean est râpé et, surtout, poussiéreux. Il n’est pas armé. Faut même vérifier ça chez les gamins ici.
  • T'as l'air salement amoché là
  • Ouais j'ai dû prendre un pruneau juste au-dessus de l'aine, la fémorale a pas été touchée autrement j'serais clamsé. Par contre la jambe a pris au moins deux balles vu sa tronche...
  • Ben ! T'as quand même eu de la chance, l'enfant étend son bras et fait un geste circulaire dans la maison éventrée, y sont tous morts. Les secours ne vont pas arriver avant un bon moment... Ils ont lâché des gaz de combat sans prévenir et ça a morflé des deux côtés. Heureusement ici on a le vent pour nous.
  • Comment tu t'appelles et qu'est-ce que tu fouts dans ce merdier ?
  • Salim, j'm'appelle Salim et je compte les points.
  • Si c'est pas malheureux de voir ça. Tu devrais être à l'école à ton âge. (C'est bon de papoter comme ça, j'ai déjà l'impression de moins souffrir)
  • L'école ? Mais je vais à l'école. Y a quatre heures par jour dans le souterrain du village. C'est le vieux Abel qui nous apprend.
  • Abel t'as dit ? C'est pas un prénom Juif ça ?
  • Si si c'est l'épicier, sans lui on aurait plus rien à manger depuis belle lurette
  • Ah ?
  • Ben oui et y en a plein d'autres. Y sont pas autant que nous mais un bon nombre quand même.
  • Dis ? Tu peux attraper mon sac et chercher une trousse dans une poche extérieure avec une grosse croix rouge dessus ?
  • Je veux bien.
Il se lève, vient tout prêt, m'attrape le bras
  • Ça va te faire mal mais je vais aller doucement. Quand je tire sur le bras tu essaies de te redresser le temps que j'enlève la bretelle.
Il tire, je me redresse, ouilleyouyouille . Je serre les dents mais ça ne m'empêche pas de gémir et de me chier dessus. Il me ramène le bras en bas vivement en maintenant ma tête et fait glisser la bretelle. Il pousse le sac de l'autre côté, attrape le casque qu'il glisse derrière moi et me repose doucement. Maintenant il m'enjambe et fait glisser la seconde bretelle. Il sort mon plaid (Un cadeau de Carla..) qu'il glisse entre ma tête et le casque. Maintenant que je suis un peu plus allongé, la douleur est moins rayonnante. Pendant qu'il trifouille dans le sac je luis dis :
  • On dirait que t'as fait ça toute ta vie ?
Sans relever la tête il répond :
  • Ben oui ! C'est un peu ça. Je suis plus efficace ici qu'à l'école. Ah ! Voilà la trousse.
  • Donnes
  • Tu veux pas que je le fasse moi-même ?
  • Nnnn..
  • Deux piqures de morphine, dégagement des plaies, j'arrose de grh pour tout endormir, puis de Bétadine, je saupoudre de sulfamides, je regarde derrière pour voir si la balle a traversé, je mets des pansements compressifs devant et derrière et je serre avec un bandage. Pour ta jambe je te ferai la même chose et poserai une attelle quand j'aurais redressé un p'tit peu. Après je mets l’heure de mon intervention sur ton front pour les toubibs.
  • Ben ça alors ! Toi t'es un cador mon gars. J'aimerais que mon fiston soit comme toi. Quel âge as-tu ?
  • Treize
  • On n'est pas prêt de la gagner cette fichu guerre si y sont tous comme toi.
  • Nous on n'est pas des combattants. Y sont d'ailleurs pas si nombreux que ça. Chez vous c'est pas comme ici ?
  • Pas du tout chez nous les gamins vont tranquillement à l'école.
  • J'peux prendre ton poignard pour découper le treillis ?
  • Vas-y mon petit. Pour l'instant t'es mon seul espoir de survie. Oui ! Alors ! Les gens chez nous y vont y viennent, y vont au super marché, à l'école, au boulot, y regardent la télé, ou bien y font du sport. Les gamins de ton âge y commencent à regarder les filles et à les ramener à la maison soit disant pour les cours.
Il s'arrêta de découper le tissu autour de la plaie, tourna le visage vers moi et ses yeux s'allumèrent. On est bien tous les mêmes quand on parle jupon...
  • Elles sont belles les filles chez vous ?
  • Y a de tout mais en général ça va. Ils finissent tous par trouver... Et alors là ! Les parents les tiennent plus, ni les gars, ni les filles. Même qui faut montrer les dents pour qu'ils bossent à l'école.
  • T'as été comme ça ?
  • Oh oui ! Et je suis rentré dans les GI parce que j'avais rien foutu à l'école.
  • Ta femme... Elle est belle ?
  • Bellissima ! C'est une Italienne pur sucre. (C'est bon d'évoquer Carla, ses grands cheveux noirs, tout comme ses yeux, son visage farouche de Napolitaine surtout quand elle est en colère et sa voix quand elle chante. Sa voix qui baigne la maison, m'enveloppe quand je bricole au garage. Son corps avec un peu de formes, très peu, qu'elle enferme systématiquement dans une robe à pois ultra moulante mais qui va aux genoux quand même, pour sortir à l'office du Dimanche. Tiens ça c'est un truc où je n'arrive même plus à emmener Francky. Comme Carla lui passe tout...). Aie !
  • Pardon ! J'ai presque fini. J'ai dû frôler la deuxième blessure de ta jambe. Après je te fais la morphine et ça ira beaucoup mieux.
  • T'es sûr qui faut deux piqûres.
  • Vu l'état de ton ventre il en faudrait même trois mais je préfère te garder les deux autres pour que tu puisses attendre tes copains.
  • Tu parlais de Juifs tout à l'heure, comme si c'était des amis ???
  • Ben oui c'est des amis
  • .....
  • Vous croyez tout savoir, mais vous ne savez même pas pourquoi vous êtes là.
  • Attends ! J'ai 37 balais et toi 12 ou 13. Tu vas quand même pas. Aie !
  • C'est juste la première piqûre. Tu deviendrais douillet maintenant ?
  • Non ! Mais arrête de remuer l'aiguille dans tous les sens.
  • Tu crois que c'est facile ? Y a que des tubes de dentifrices pour les piqûres. Alors il faut bien que je le presse pour que tout rentre.
  • Hé ! Mais tu m'as rentré ça dans une veine !
  • Ben ça ira plus vite. L'autre je te la ferai dans la cuisse gauche.
  • Ah houai ! Vachement bon ! Je ressens les effets. J'ai plus mal nulle part. C'est valable. A part des mouches dans les yeux c'est super. L'autre tu me la feras là aussi ?
  • Non ! Là t'en as pour une demi-heure. Celle que je te ferai dans la cuisse durera deux heures.
Il me soigne vachement bien, comme un pro. J'ai une sacrée chance. Maintenant il s'affaire sur mon trou au ventre et je sens pratiquement rien. Il se retourne, me regarde et sourit.
  • Pas trop de dégâts, elle est passée un bon centimètre sous le rein, elle est restée entière et ressortie sans dévier de sa trajectoire. T'as de la chance que ce soit pas une traçante ou une dumdum. Là t'aurais trinqué.
  • ....
  • Attention la jambe ça va être un peu plus dur.
Il se lève et va s'asseoir à quelques centimètres de mon ranger. Il plie ses petites jambes, attrape ma chaussure avec ses mains en se penchant vers moi. Sa tête se redresse, son regard est angélique, ses lèvres à peine ourlées sourient, ses dents scintillent comme pour une pub de dentifrice.
  • T'es prêt ?
Je lui fais oui de la tête et il se couche violemment sur le dos en tirant comme une brute sur mon ranger, ma jambe.
  • Meerde, oh merde ! Tu veux me l'arracher ou quoi ? Et la morphine ? Elle a rien fait pour empêcher ça Merde Bon dieu
Il s'est redressé puis mis souplement debout. Il examine la jambe.
  • Bon ça va. Je panse, j'attelle et on discute. T'as pas un clop ?
  • Dans ma veste en haut à droite.
  • Merci !
Il s'allume une cigarette et la met entre mes lèvres.
  • Prends en une si tu veux
  • Je ne fume pas
  • Tu soignes comme un chef. Tu fumes pas; Je suppose que tu bois pas non plus. D'où tu sors ?
  • Du village que tu viens de raser.
  • Tes frères y sont pas plus gentils avec nous, avec leurs bombes et kamikazes.
  • C'est vrai mais c'est normal.
  • Normal ? J'aurais tout entendu dans cette foutue guerre.
  • Je confirme, c'est normal. Tu connais pas la région. ça se voit. La terre est à 80% inculte et on n'arrête pas de se peupler. Les Juifs comme nous... Bon ! Y sont un peu plus malins en affaires que nous ou les Libanais mais on n'est pas trop con quand même. Nos pères ont compris depuis longtemps : quand ça merde entre nous, enfin ! A un certain niveau, y a du fric qui tombe à la pelle. Les Juifs ils appellent ça les mannes, entre eux. Alors on a nos extrémistes et ils ont leur armée. Des fois on trinque un peu car ça manque de précision de temps en temps, mais globalement ça va.
  • Attends t'es en train de me dire que cette guerre est voulue pour avoir du fric ?
  • Non, non ! Pas exactement. Pour que le peuple puisse se développer. Tu sais la plus grosse merde à Gaza ou en Cisjordanie c'est la fermeture des points de passage. Les parents y peuvent plus aller bosser chez les Juifs et les Juifs y sont aussi emmerdés que nous à cause de ça. Y a qu'à Jérusalem que tout marche bien. Enfin ! Jusqu'à ce que vous décidiez d'en faire une ville internationale. Nous on sait ce que ça veut dire.
  • Ah bon ! Et ça veut dire quoi ?
  • Ben que le fric qui vient d'en haut vous reviendra en bas. Alors nos frères y sont pas d'accord. D'ailleurs, quand vous êtes trop calmes c'est des snipers Israéliens qui vous tirent dessus.
  • C'est con comme raisonnement.
  • C'est le votre. Tout comme en Irak. Tu trouves pas étrange que vous veniez sauver un peuple qui vous tape sur la gueule après.
  • Ça interroge en effet. Heu! Tu t'occupes de ma jambe ?
  • Oui ! Excuses moi.
  • Je peux utiliser ton poignard pour couper les bandes ?
  • Pourquoi tu me demandes ça ? Tu l'as avec toi depuis tout à l'heure.
Là, il prend un air ennuyé. Ses yeux évitent les miens. Tiens tiens ! Je retrouve un gamin... Je crois bien qu'il va me le demander et ça après le service qu'il m'a rendu ce serait la moindre des choses. Y peut tout prendre même les 500 $ et la montre Oyster à 10 plaques.
  • Ben, heu... Comme ça. Je sais que vous y tenez à ce truc, vous, les commandos.
  • Ça c'est au cinéma mon gars. Un bon flingue bien entretenu ça oui c'est important. Tu pourras même le garder après... Quand tu partiras.
  • Merci
Il a toujours le regard fuyant. Il veut pas montrer sa jubilation. Y sont vraiment drôles ces gamins. Voilà il me bande la jambe sur les pansements qu'il a imbibés de sulfamides et de Bétadine. Le voilà parti à la recherche de quelque chose.
  • Tu cherches quoi ?
  • Deux morceaux de bois pour les attelles
  • J'en ai...
  • Trop courtes
  • Ah bon !
  • Voilà ! Ce sera bon.
Il revient avec deux planchettes. Il les casse avec le pied en soulevant le plus long morceau, puis nettoie les échardes et colle du sparadrap aux deux bouts de chacune d'entre-elles. Il pose ma jambe sur une pierre qui était toute proche. Hou ! la douleur revient et dans le ventre surtout. Il sent ma contraction.
  • Après je te pique dans la cuisse.
  • Tu devines tout
  • Je sais que ça fait mal.
Ça y est les planchettes sont installées. Tout le rouleau de sparadrap y est passé. Il m'envoie la morphine dans la cuisse, me repose la jambe par terre, m'enlève ceinturon, cartouchières, piles du viseur nocturne, vide mes poches, déploie la couverture de survie, me couvre jusqu'au menton et pousse délicatement sous moi la fine feuille dorée. J'ai l'impression de puer un peu moins.
  • T'es une vraie mère pour moi.
  • Non c'est toi qui es un message pour moi.
  • ...?
  • Tu sais. cette guerre ne finira jamais. Pas plus que toutes celles du Moyen-Orient et peut-être ailleurs. Pour les raisons que je t'ai dites tout à l'heure.
  • Quel rapport avec le fait que tu m'as si magnifiquement soigné ?
Il se met à s'agenouiller prés de ma tête. Maintenant il me caresse les cheveux avec la plus grande douceur. Comme je le fais avec Francky quand il dort.
  • Je t'ai parlé de cet argent qui dégouline du ciel tout à l'heure. Tu t'en souviens ?
  • Oui
  • Ben nous en bas, on adhère au système, mais on n'en voit pas la couleur. Soit on fait des petits boulots, mais je suis trop jeune pour que ça rapporte à la famille. Soit on devient combattant ou kamikaze mais ça ne rapporte qu'une seule fois et pas assez pour toute la vie. En tout cas celle qu'on aurait eue si on n’était pas morts. Alors il reste les rapines sur les champs de bataille. Là je vais devoir y aller car je vois Joachim qui me fait des signes et je serais lourdement chargé de fusils, grenades, cartouches et autres trucs. Tu comprends ?
  • Houai ! Mais quel message ?
Il me caresse toujours les cheveux avec la douceur de Carla. Je la vois, avec son sourire inimitable et ses seins généreux et offerts, dans notre lit conjugal. Là-bas, au Nebraska. C'est bon... ça y est j'ai compris.
Ces enfants veulent nous montrer qu'ils sont capables d'humanité, que la population ne nous veut aucun mal. C'est vrai que s’ils nous chouchoutent comme ça on va rester longtemps enfin.... Nos chefs, car nous... Enfin ! Moi... Y a que Carla qui compte. Mais, mais il fait quoi là. Il a posé le fil du poignard sur mon cou.
Il a relevé la tête, il me sourit toujours.
  • Ça va ? ... Tu te sens bien ?
  • Oui mais tu pourrais enlever le couteau… Après je t’emmènerai chez moi au Nebraska, si tu veux ?
Pieux mensonge. J'essaie de bouger un bras lentement mais il est coincé dans la couverture. Il relève le couteau. Ouf ! J'ai eu un doute....
  • Tu vois j'ai parlé de message. Je l'ai marqué dans la poussière avant que tu te réveilles tout à l'heure et Joachim et venu le traduire en Hébreu. Tu veux savoir ce qu'il dit ?
  • C'est certain, je pourrais le transmettre à qui de droit après.
  • Ça dit « Nous savons tout faire et vous êtes là pour longtemps » Tu crois qu'ils sauront le traduire en anglais.
  • Sans problème, d'ailleurs tu viens de me le dire dans ma langue... Alors.
  • Alors adieu soldat
Bon dieu le couteau, le couteauauau ! Dans ma gorge, le sang ça fuse je suis mort je meurs c'est con.
Il se relève rapidement.
  • Tu ne souffres pas. C'est une grande chance pour toi. Je sais que tu m'entends encore un peu. As-tu compris le message ?
Dans ma frénésie de survie, au delà de mes tremblements, moi l'Occidental j'envoie un dernier, un dernier message, à travers cet enfant, au monde en hochant ce qui me reste de tête au bout du cou.
J'AI COMPRIS ADO MAIS A QUEL PRIX.
PUTAIN DE GU………
« - Gros butin…. On va pouvoir tenir deux trois mois avec ça. » Dit Joachim en passant ce qui avait dû être un porche.
Lourdement chargé de fusils, pistolets, munitions et fric en liquide, sans oublier les quatre viseurs nocturnes, ils sortent de la maison en ruine.
- Hé Joachim ?
  • Oui ?
  • C’est bon pour toi ?
  • Allah ouar bach !
  • Shalom mon frère
  • Ton type est mort ?
  • Je l’ai fini. Mais il est mort content.
  • Ah bon !
  • La morphine pour le corps et l’explication de mon geste. En voilà au moins un qui aura compris quelque chose. Y m’a dit que les filles étaient belles chez lui.
  • Et alors ?
  • Je vais peut-être demander à être kamikaze là-bas. Comme ça j’aurai le temps d’en rencontrer une ou deux.
  • T’iras où ? Banane.
  • Ben au Nebraska, je donnerai des nouvelles de la superbe fin de son mari à sa femme. C’est une bonne entrée en matière.
  • Y a peut-être rien à faire péter dans ce coin ?
  • J’sais pas.
Ils disparurent dans les fumées visqueuses qui s’accrochaient encore aux ruines, contents de leur journée.


FIN.




LA FEMME ET L’ENFANT

Elle avait seize ans en 1998. Cette période était confuse dans sa tête. Tout ce dont elle se souvenait c’était l’amour, l’amour immodéré, passionnel, fusionnel qui la bouleversait encore aujourd’hui, comme au premier jour de ses quinze ans quand Slobodan, caché dans la haie, lui avait offert un bouquet de fleurs qu’il avait glané dans les chemins creux sillonnant la montagne.

« Une Goran et un Serbe, ffûtt….. » avait dit son père. Mais ce fut tout. Son père était le boulanger du bourg. Il n’était pas trop mal avec tout le monde. Et puis le petit Slobodan, dans le fond, était un bon parti. Sa famille protégerait la sienne des appétits guerriers qui se manifestaient dans la région.

Le bourg était isolé entre Zvečan et Djakovica. Il était épargné par les grandes confrontations des villes. Mais son isolement ouvrait la porte à tous les abus. Qui s’inquiéterait de quelques dizaines de personnes dans la fureur de ces temps.

*******

Son père avait raison mais il avait perdu cette même raison. En ce jour pluvieux de mai 2007, il radotait, assis sur sa chaise dans la cuisine de sa fille et de son gendre, Slobodan, qui avaient trouvé une petite maison enchâssée dans une ruelle de Zvečan et conduisait à l’église Saint Georges.

Quand il faisait beau Slobodan pestait après lui : « Allez, père! Bougez-vous ! C’est pas bon pour vous de rester enfermer comme vous le faites »

Invariablement le père ramenait une mèche de ses cheveux blancs en arrière, levait sa tête rougie par toute une vie passée devant son four à pain et la bière forte qu’il sirotait à longueur de journée. Son œil bleu gris se plissait et son regard vide plongeait dans celui de son gendre. Il éructait plus qu’il ne disait : « Je ne veux plus voir personne sauf vous trois. »

La messe était dite. Elle le savait. Jamais il ne sortirait vivant de cet abri encore précaire.

Le sort du Kosovo était en train de se jouer. Elle penchait plutôt pour voter Serbe par amour pour Slobodan et puis les Albanais lui faisaient peur. Les troupes de l’ONU avaient beau sillonner la ville en tout sens il ne se passait pas un jour sans qu’on entende un coup de feu claquer.

Les seuls moments de paix, que tout le monde semblait respecter, étaient le dimanche et les soirées festival. C’était des démonstrations de force ou d’habileté inter ethniques mais pas d’affrontement. Alors, ils sortaient, ces jours là, pour exorciser la peur et tout le monde se retrouvait au café pour discuter de choses et d’autres (En tout cas rien qui fâche) dans le charabia Serbo-croate que tous comprenaient. Mêmes les Albanais venaient. Pas tous, loin de là, mais quand même… Il y en avait et pas seulement ceux favorables à la Serbie. Ça lui permettait de retrouver sa copine Milan avec laquelle elle avait passé sa jeunesse au bourg et qui s’était sauvée en Albanie pendant les événements. Elle se sentait bien quand elle pouvait la voir. Elle pouvait ainsi retrouver un bout du fil de mémoire perdu en 99.

Elle ne comprenait pas pourquoi les Serbes étaient aussi diabolisés. Pour elle, tout le monde avait été terriblement cruel. Enfin ! Tout le monde c’est un bien grand mot. Les militaires, les milices, les bandits, les mafias. Même chez les Goran, qui ne sont pas nombreux…. Ils y a des bons et des mauvais partout et puis il y a la grande majorité qui est là,… Qui suit ou s’enferme pour ne pas voir, attachée qu’elle est à de futiles besoins, la montée en puissance des confrontations. Puisque que c’est sur elle que pèsent les plus grands dangers.

********
  • Boli ! Cria-t-elle dans la cage du minuscule escalier qui montait aux chambres.

  • ..

  • Boli ! Tu es est prêt ?

Une porte claqua, les marches de bois craquèrent et un adolescent apparu dans l’angle que faisait l’escalier avec le mur. Cheveux mi-longs, jaunes paille, encadrant un visage d’ange, vêtu d’un jean et d’un tee-shirt de couleur crème, chaussé de Tennis usées sur les côtés à force de taper dans les ballons de foot, il sauta les dernières marches et passa devant sa mère sans lui jeter le moindre regard. Il avait un air de parenté avec Alexandre le Grand que les Macédoniens aimaient bien exhiber dans les fêtes, rappelant par là qu’ils furent des conquérants et qu’il ne fallait pas trop les chatouiller.

  • Arrête de l’appeler Boli, chuchota Slobodan à l’oreille de sa femme, ça ne veut rien dire et puis c’est déjà assez compliqué comme ça.

  • Tu sais bien que je l’appelle comme ça justement parce que ça ne veut rien dire. Tu n’as pas voulu que je l’appelle Radovan comme ton père et Georges, ça me rappelle trop mon douloureux accouchement. Elle mettait tout ce qu’elle pouvait de supplique amoureuse dans le regard qu’elle échangeait avec son mari.

Elle avait accouché sur la pierre dure de l’église Saint Georges que les Albanais n’avaient pas osé ravager car le monument avait une histoire à laquelle ils étaient attachés eux aussi… A l’époque, car aujourd’hui ils ne respectent rien. Les douleurs avaient duré trois longs jours, la fièvre était montée. L’enfant, mal présenté, avait déchiré son ventre. Elle avait perdu conscience plusieurs heures. C’est pendant ce coma que sont son cerveau, compatissant, avait effacé toute trace de souvenir de l’attaque du bourg à la naissance de son fils. Elle ne conservait en elle qu’un malaise qui, parfois altérait son état de veille et l’unique et resplendissante image d’un Slobodan aimant et patient, souriant comme une de ces icones qui luisent dans toutes leurs maisons.

Il lui sourit

  • Ça ne fait rien… Peut-être un jour il comprendra… Il sait qu’on l’aime, c’est le plus important.

Oubliant le vieux, toujours assis, se servant tant bien que mal, les mains tremblantes un verre de Pivö, coudes posés sur la table de cuisine en formica, le couple suivi l’adolescent qui avait déjà traversé le salon, emprunté le petit couloir, tapissé de petits motifs floraux et jailli dans la rue étroite.

Une fois de plus, il avait claqué la porte derrière lui, au nez de ses parents, comme s’il voulait marquer la fracture qui les séparait. Slobodan ne supportait pas ces gestes là mais contenait sa colère. Il savait que s’il se lâchait elle se transformerait en rage. Ils en viendraient aux mains et ne s’arrêteraient que quand elle se roulerait par terre, la bave aux lèvres, le corps agité en tous sens. Il voulait éviter ça à tout prix. Georges devait prendre sa passivité pour de la faiblesse et de temps en temps il en rajoutait encore. Les attendant derrière la porte bien en face d’eux quand elle s’ouvrait. L’œil et le menton provoquant avec l’air de dire : « Alors ! Vous m’astiquez cette fois ou vous abdiquez ? Depuis plus d’un an les yeux des parents fuyaient ceux de Georges quand il avait cette attitude. Il fallait préserver à tout prix un semblant de quiétude pour lui et pour eux. L’enfer était dehors… Inutile d’installer le diable dans le foyer…..

Pour elle, l’enfer s’y était déjà bien installé. Malgré sa beauté rayonnante, ses cheveux magnifiques qui tombaient en cascades noires et brillantes quand elle défaisait son fichu, elle voyait bien dans le regard de Slobodan son désarroi. Pourtant elle essayait de faire bonne figure. Quand il la fixait un peu trop intensément, elle détournait les yeux et trouvait un reproche à faire au père qui n’en finissait pas de trembler et baver au bout de sa table. Mais Slobodan savait bien que c’était Boli qui l’embrouillait.

*****

Elle l’aimait. Pour ça ! Oui ! Elle l’aimait son fils et elle… Mais c’était si dur et si contradictoire à penser… Elle le haïssait aussi. C’était comme une peur. Oui ! Voilà ! Une peur, toute simple, toute forte… Un bloc de peur viscérale. Celui qui donnait envie de vomir. Et si Boli n’était pas le fils de Slobodan ? Mais aussi loin que remontaient ses souvenirs, ils butaient invariablement sur une violente douleur au ventre, les cris d’un bébé sous les voûtes d’une église sombre, des coups de feu claquant dans le lointain et la voix douce de son futur mari qui glissait sur elle comme l’eau fraîche d’une source, comme une de ces mélopées que susurrait sa mère quand elle était enfant. Et sa mère, qu’était-elle devenue ?

Maman partant si tôt matin avec sa charrette chargée de pain encore chaud. Maman ouvrant la boutique de la boulangerie invariablement au premier son de la cloche frappant huit heures. Maman qui m’attendait, arrangeait une dernière fois mes horribles couettes, repositionnait inutilement la ceinture sur ma robe sombre, qui me donnait deux ou trois petits pains « Attention ! Hein ! Un pour toi et un pour chacune de tes camarades, autrement vous allez grossir ». Gestes et phrases rituels qui étaient le signe du départ à l’école. Je sentais son sourire et ses grands yeux noirs m’accompagner jusqu’à la petite fontaine chantante avant que je ne disparaisse en courant pour rejoindre Milan et les autres.

Slobodan faisait déjà partie de mon univers mais c’était pas aussi fort qu’aujourd’hui. J’aimais bien le snober, lui rappeler qu’un Goran valait deux Serbes et trois Albanais. C’était ma manière à moi de lui dire qu’il ne m’était pas indifférent tout en restant dans cette compétition raciale qu’appréciaient tant les grands et qui donnaient lieu à d’incessantes bagarres dans la cour de récré.

Et maman qui me disait quand je rentrais de l’école : « J’espère que tu ne participes pas à ces rivalités idiotes. Un homme est un homme mais un âne est un âne. » C’était sa phrase favorite.

Maman ? Où es-tu ? Où te caches-tu ? J’ai besoin de toi. Je ne peux même pas en parler à Papa. A chaque fois que j’essaie il part dans sa chambre en me regardant méchamment. Partie avec un autre homme ? Inconcevable. Morte ? Qui aurait pu en vouloir à cette sainte femme, toujours disponible pour les autres, toujours, au point de me rendre jalouse, avec une ribambelle de gosses autour d’elle quand elle allait cueillir des fruits rouges dans les bois. Maman je souffre vraiment… Il faut que tu reviennes… Je t’en prie…

Invariablement les larmes lui montaient aux yeux à l’évocation de sa mère si présente et puis… Si… Rien. Elle s’empressait d’aller dans la cuisine, prendre quelques oignons et se mettre à les éplucher avec empressement pour masquer son chagrin et ne pas inquiéter l’homme de sa vie. A la maison ils mangeaient des oignons tous les jours… Midi et soir.

*****

Slobodan savait bien ce qui se passait dans la tête de celle qu’il aimait par-dessus tout. Il valait mieux qu’elle ne souvienne pas de cette terrible année. Quant à lui, les souvenirs, malgré le temps passé, restaient intacts, sans la moindre retouche ni le plus petit coin d’ombre…. Quand la guerre avait abordé le hameau, il était à Alexandroúpolis, en Grèce pour y traiter quelques affaires et, notamment, racheter une sorte de gîte. C’était un grand bloc de béton gris abritant vingt huit studios abandonnés. L’immeuble était en contrebas de la route et donnait sur la mer. Il songeait à amener sa famille ici pour la protéger. Il ne voyait pas la guerre se terminer dans de bonnes conditions, si elle se terminait un jour.

Il n’avait osé encore parler à son père. Il espérait qu’en prenant conscience de toutes ces atrocités, il finirait par envisager un départ familial et mettrait son orgueil de Serbe au rancart. Un soir à son hôtel, revenu d’une négociation difficile et fortement arrosée d’Ouzo, son père l’appela : « - Slobo ?

  • Oui père ?

  • Tu dois rentrer, ça chauffe jusque chez nous entre Albanais et Serbe. Nos militaires occupent la colline du pendu mais ils ne sont qu’une soixantaine.

  • Je rentre…

  • Passe plutôt par la Macédoine et remonte le plus possible pour redescendre de notre côté. J’ai envoyé ta mère et tes deux frères chez ton oncle.

  • Tu as des nouvelles du boulanger ?

  • Tu pense encore à cette jolie petite Goran hein ! Ne t’inquiète pas pour eux. C’est un métier stratégique pour les troupes.

  • Père ?

  • Il y a peut-être des boulangers dans ces troupes. Je serais là demain après midi. Je sortirai de la grand route après Skopje.

  • Sois prudent.

Sa Niva 4x4 étant neuve il avait décidé de sortir des routes dès qu’il le pourrait. Il contourna Thessalonique et s’arrêta dans un petit magasin où il prit du pain, une petite bouteille d’huile d’olive, de la feta et de l’eau. Ça lui suffirait bien. Il était sûr que son père exagérait. Qui pourrait bien s’intéresser à se hameau qui n’offrait même pas une position stratégique. Non, il devait sans doute y avoir des mouvements vers Đakovica.
Contrairement à ce que sont père lui avait dit, il n’eût aucun mal à rejoindre le hameau. A trois kilomètres il tourna à gauche pour prendre une sente forestière qui conduisait au sommet de la colline du pendu. De temps à autre, les arbrisseaux, bordant le chemin creux, griffaient sa voiture. La pente devint si forte qu’il dût enclencher les quatre roues motrices. Arrivé au sommet, il pensait trouver les soldats de la milice Serbe. Il ne vit qu’une clairière vide avec son chêne au milieu, échafaud vivant, complice malgré lui, d’une mort pitoyable qui avait tant marqué les esprits des gens de la région. Des traces montraient qu’il y avait eu du monde ici : quelques mégots ça et là, des papiers gras qui ne s’étaient pas décidés à prendre le vent, trois douilles d’obus bien brillantes encore et de nombreux sillons de roues qui s’emmêlaient, s’entre croisaient et s’élargissaient à l’endroit où les voitures tournaient. Avaient-ils déguerpi précipitamment ?
Slobodan se posait la question. Il n’avait pas vu de traces particulières en montant la colline par la sente la plus large. Il en conclut que les soldats avaient emprunté le chemin qui débouchait juste derrière la boulangerie. L’émotion le gagna. C’était « son chemin », il l’avait pris tant de fois pour aller voir sa belle, après bien des hésitations, l’interpeller quand elle sortait chargée des sacs de farines vides pour les empiler sur les autres sous l’appentis ou s’asseoir sur le banc, fait d’une grosse planche posée sur des briques, le dos appuyé au mur de la grande bâtisse, lisant un livre. Depuis qu’il avait osé l’appeler il se rendit compte qu’elle venait s’asseoir plus fréquemment sur le banc. Elle avait toujours un livre mais, posé à côté d’elle. Ses yeux étaient fixés sur le bosquet où il se cachait. Alors ce chemin devint « le sien », celui qui l’amenait à ses yeux à elle, à sa voix douce, à son sourire à son visage couleur miel parsemé d’îlots blancs de farine. Jamais il n’aurait imaginé qu’un véhicule puisse passer par là. Mais là ce n’était pas un véhicule… Il y en avait eu plusieurs avec des gens en arme dedans, des soldats redoutables et même un obusier sur remorque. Il accéléra, traversa la clairière pour rejoindre son passage et là, il sut qu’il avait pensé juste. Quinze jours plus tôt il était venu là pour essayer de localiser les bruits de combat qu’on entendait en bas dans le hameau. Le chemin n’était pas plus large que le « cul d’une mule », comme avait l’habitude de dire son oncle quand ils allaient chasser dans le coin. Aujourd’hui il fait au moins six mètres de large. Le bois est tellement dévasté qu’il peut voir les toits de tuiles rondes du hameau. Il s’engagea dans cette voie et descendit la pente, qu’il n’avait jamais imaginée si abrupte, en petite vitesse. La trouée avait été faite « à la romaine » pratiquement rectiligne malgré la forte inclinaison… Une mauvaise impression l’envahit : ils avaient déguerpis.
Croyant la porte de la boulangerie ouverte, il décida de s’y arrêter pour voir si tout allait bien. Il découvrit bien vite que la porte n’était pas ouverte normalement, elle tenait seulement au gond supérieur et penchait dans l’ombre de la pièce du fournil. Slobodan bondit de sa voiture et s’engouffra dans la maison. Son cœur battait la chamade. Il n’osait appeler car jamais encore le père de son aimée ne lui avait permis de franchir le seuil. « Travaillez à l’école pendant que vous en avez encore le loisir » Avait-il dit, sentencieux. Il parcourut toutes les pièces, regarda sous les lits, ouvrit toutes armoires, les appelant, à voix basse, elle et sa mère. Il finit par la boutique. Tout semblait intact, l’odeur du pain imprégnait la pièce. Pourtant, sur les étagères, il n’y avait pas l’ombre d’un morceau de croûton. Il ouvrit la porte vitrée donnant sur l’unique rue du hameau. La petite clochette, montée sur un fer plat fixé sur le haut de la porte, tintât. Ce son aigu, presque joyeux, détonnait avec le silence qui régnait au dehors. Slobodan se ressaisit et courut comme un fou vers la maison familiale. Mais là aussi, porte forcée, maison vide. Il se mit à hurler : « Papa, Maman, Vlad, Alex… Ou êtes-vous ?… Répondez-moi !… » Il courut ainsi de maison en maison, appelant ses amis, ses cousins, leurs parents cela dura des heures avant qu’il ne réalise que la nuit était tombée et qu’il était bel et bien seul. Que s’était-il passé ? Avaient-ils été emmenés ? Tués ? Qu’est-ce qu’il pouvait faire ? Son père avait bien dit que c’était des Serbes là-haut ? Pourquoi auraient-ils fait cela ? Et Elle, où était-elle ? Sa tête bruissait de questions sans réponses qui, telles des abeilles, venaient nourrir son désespoir. Il resta là, assis sur le perron de la demeure paternelle, jusqu’à la pique du jour. La fraîcheur de ce matin brumeux le fit frissonner. Il se leva, se rassit, se releva, descendit les marches, erra sans but dans la rue. Tout à coup son pas se fit plus vif puis il se mit à courir… Il restait un espoir… Le trou du berger. Il y a longtemps, un berger itinérant, n’avait pas osé ramener le troupeau jusqu’au village. Les gens virent les moutons s’engager sagement dans la rue mais pas le berger. Il manquait trois bêtes. Les villageois conclurent qu’il les avait volés, se payant ainsi. Ils partirent à sa recherche mais, comme cela correspondait plus ou moins au salaire qu’il aurait reçu, ils n’insistèrent pas. C’est l’oncle de Slobodan qui trouva son squelette et celui de ses deux chiens, bien des années après, sous une énorme dalle au pied de la montagne. Tout le monde vint à la conclusion qu’il avait dû égarer les trois moutons et avait préféré mourir que de perdre son honneur de berger. C’était un Monténégrin. Les chiens étaient restés avec leur maître et l’avaient accompagné. Le village en fut tellement remué qu’il lui fit des funérailles dignes d’un prince et, ce jour là, le repas fut tellement émouvant que, depuis lors, à chaque date anniversaire hommes femmes, enfants prenaient leur repas du soir en commun en l’honneur du berger.
Quand Slobodan arriva près de la dalle, dissimulée par une butée de terre sur laquelle poussaient des ronces, il éructa un son plus qu’il n’appela tant il avait la gorge serrée. Puis, à quatre pattes, il s’engagea dans un espace étroit qu’Elle et lui avaient aménagé pour se retrouver. Quand il déboucha dans l’ombre de cette grotte minuscule il distingua, avec difficulté, deux silhouettes étendues sur le sol. « - Mon Dieu ! C’est toi ? Dis-moi que c’est toi ! Je t’en supplie… » Une ombre bougea. Slobodan chercha avec fébrilité ses allumettes en craqua une et découvrit la scène : elle était allongée sur le dos, sa main gauche posée sur son ventre, la robe était tâchée de sang, il voyait ses mollet où des traînées noirâtre dessinaient de sombres courbes. A côté d’Elle, son père, le fier boulanger, couché à même le sol dans cet antre humide, la main posé sur les cheveux de sa fille, un doigt qui faisait et défaisait une boucle et, surtout un regard halluciné enveloppé par des paupières écarlates. A la quatrième allumette Slobodan pris une décision… Il s’approcha d’Elle, tendit la main vers la sienne. La réaction du père fut titanesque : « - Ne l’approche pas, ne la touche pas ! » Hurla-t-il. Puis s’effondra, frotta son front sur la terre, comme pour lui dire non et se mit à sangloter. Malgré l’accès de fureur de son père Elle n’avait pas bougé. Ses yeux étaient à demi ouverts, sa poitrine se soulevait régulièrement mais le souffle était si faible qu’Elle semblait morte, de temps à autre un gémissement, à peine audible, franchissait ses lèvres. Slobodan se ressaisit : « - Je… Je vais chercher ma voiture. Il faut la… Vous soigner. Je vous emmène en ville. Là-bas c’est calme. Il rampa en reculant, ne la quittant pas des yeux… Elle est VIVANTE !
*****
Quand il revint avec sa voiture, il se précipita dans l’abri, l’attrapa par les aisselles et la tira avec toute la douceur qu’il pouvait donner. Le père n’avait pas bougé, figé par la douleur. Après une reptation difficile, il réussit à amener sa belle le long de la voiture. Il rabattit les dossiers des sièges de la petite voiture et entrepris de l’allonger à l’arrière. Chose faite, il s’installa au volant puis, pris de remord, il redescendit, s’engouffra sous la dalle et cria d’une voix la plus forte possible : « - allez venez, nous n’avons plus rien à faire ici. Elle peut encore être sauvée » L’homme bougea et se mit à ramper vers lui. Slobodan se mit à reculer ne le quittant pas des yeux, craignant qu’une crise de rage n’éclate à nouveau. Mais tout se passa bien. Le boulanger alla directement et sans un mot s’installer dans la voiture. Slobodan fit de même et démarra en trombe. Ils n’échangèrent aucun mot jusqu’à l’hôpital. De temps à autre le père se retournait vers sa fille, regardait fixement Slobodan, ouvrait la bouche mais aucun son n’en sortait. Les larmes sillonnaient ses joues terreuses. Une énorme bosse ornait son front. Des infirmières prirent en charge les deux blessés aidées par Slobodan, des ambulances allaient et venaient sans cesse, regroupant à l’hôpital, dans la même douleur, amis et ennemis. « - Dites ! Ma sœur ! Je m’installe là-bas…. Sur le banc. Vous pourrez me tenir informé ? » « Bien sûr ! Jeune homme. Vous êtes son parent ? - Non heu… Oui… Enfin je suis son fiancé et l’homme est mon beau père. » « -Vous vous appelez comment ? – Slobodan – Bien Slobodan je t’enverrai quelqu’un disons…. Vers 17 heures. – Merci ma sœur. - Priez en attendant, mon garçon, votre fiancée a beaucoup souffert dans son corps et dans son âme mais elle survivra. Quand à son père, le pauvre homme, il n’a rien à part cet hématome au front par contre ce qu’il a vu et entendu… Mais il est loin d’être le seul dans ce cas… Courage petit. » Elle s’éloigna d’un pas rapide. Sa forte taille donnait une telle amplitude à sa chasuble qu’elle semblait danser. En d’autres temps, Slobodan, d’un naturel espiègle, aurait trouvé matière à plaisanter. Las, son regard était vide. Oh ! oui, il se souvenait de ce regard. Ses yeux secs comme des cailloux, ses paupières immobiles et derrière ces fenêtres, des rideaux, des rideaux épais fermés sur une âme tourmentée, une âme qu’un remord commençait à ronger. L’échange interrompu avec la Sœur avait révélé l’énormité de son choix. Dès qu’il avait retrouvé sa belle tout s’était enchaîné mais sa famille ? Les habitants du hameaux ?



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