God finger



Archibald, à l'image Schlieman, est un archéologue amateur. Amateur ? Certes, mais très très curieux donc bien informé. Iconoclaste, il fonde l'orientation de ses recherches sur une conviction profonde : Si les survivants des peuples premiers comptent, parmi eux, un nombre considérable de clairvoyants, chamans et autres méditants sur lesquels la science s'interroge enfin, ou considérés tels par leur culture, il est opportun de penser qu'il y a plusieurs dizaines de milliers d'années ce pouvait être aussi le cas.
Rechercher la manifestation de la maîtrise de l'immatériel dans la préhistoire à fait rire et médire beaucoup dans le sérail des archéologues.
Pourtant, Archibald va inventer, comme on dit dans le langage des découvreurs d'objets, trois pièces : une boite en onyx contenant un doigt portant une bague, une petite pierre manifestement sculptée et polie et une sorte de boule de nœuds faits dans une corde de fibres végétales manifestement imputrescibles à l'image de ces nœuds boule marin mais de la taille d'une balle de handball .
Pas grand chose en somme.... Avec quand même un petit détail qui va tellement émouvoir notre "Archéologue d'opérette" qu'il va cacher cette découverte, ramener ses objets chez lui pour les montrer à des amis proches aussi iconoclastes que lui et gorgés de connaissances dans leurs domaines respectifs.

Mais qui est Archibald ? On dit communément d'un héritier qu'il est né avec une cuillère en or dans la bouche. Lui c'est une louche en diamant qu'il a reçue dans son berceau il y a une soixantaine d'années. Son père était tellement riche, avare et discret que personne n'a jamais eu l'idée de voir en lui l'homme le plus riche du monde. Personne ne sait non plus d'où est venue cette fortune, pas même Archibald. D'ailleurs il s'en contrefiche tout dévoué qu'il est à sa passion .
Il n'a pas connu sa mère, disparue dans un accident d'avion quand il avait trois ans. Des gouvernantes et des préceptrices ont présidé à son éducation. Son père l'a envoyé ensuite dans les meilleures écoles internationales. Jeune homme bien sous tous rapports il faisait un parti idéal pour la gente féminine s'affairant dans et autour de ces milieux scolastiques de haut niveau. Mais le sort en a décidé autrement...
L'absence de chaleur d'une mère eût pour conséquence une relation très distanciée entre le fils et son géniteur. Tant et si bien qu'à la suite d'une violente altercation entre eux amena Archibald à claquer la porte, à se mettre au bord de la route et à lever le pouce pour "n'importe où mais ailleurs". Ce fut son premier tour du monde en "gueux" comme il disait à ses rares amis.
Parlant cinq langues couramment, il n'eût pas de mal à se faire comprendre ni à trouver, à droite et à gauche, quelques petits boulots car il était parti sans rien ou presque Quatre billets de cent dollars trouvés dans le tiroir d'une commode, un sac à dos qui ne devait pas peser plus de dix kilos, un cahier et deux stylos à bille.
Il a donc promené sa rancœur à l'égard de son père à travers le monde et fait les expériences si nécessaires à cette jeunesse élevée dans le confort et l'absence totale de soucis matériels.
Jusqu'à ce qu'il rencontre "Plume". Installé depuis un mois à Varanasi à deux pas du Gange dans un petit lodge miteux il accueillait dans sa chambre à deux lits les "routards" qui cherchaient un endroit où se poser.
Elle débarqua un jour chez lui, demanda asile qu'elle obtînt sans mal. Fille d'une indienne Yanomami de l'Alto Orinoco et d'un aventurier américain, Plume était plutôt petite mais belle et admirablement proportionnée. Malgré sa minceur due aux privations (Ne serait-ce que pour financer son taudis) il était plutôt bien foutu. Arriva ce qui devait arriver. Ce ne fut pas, bien entendu, sa première expérience sexuelle mais, à l'entendre dire, la plus éblouissante de sa vie. C'est bien la seule femme qu'il aura voulu épouser. Beaucoup plus indienne qu'Américaine, guérisseuse, voire, sorcière mais dans le bon sens du terme, elle était entièrement dévouée à sa quête existentielle et la distribution généreuse de ses dons ancestraux. Elle a aimé Archibald. C'est certain. Elle l'aime sans doute encore dans le fond de sa forêt amazonienne. Il mis du temps à comprendre l'intérêt de la démarche de Plume et pourquoi elle se trouvait là.
Dans leurs moments d'intimité, il l'interrogeait parfois : "Pourquoi, toi qui est une Yanomami jusqu'au bout des cils, es-tu venue en Inde ?" Elle s'en tirait avec une pirouette verbale et généralement avec un sourire aussi mystérieux qu’enjôleur mettant fin à tout éventuel débat : "Je cherche la Source..." ou encore "Mes grands anciens sont par là." Elle l'emportait toujours dans une tornade de volupté à laquelle il s'abandonnait volontiers. Cependant, ce sont ces gentils refus qui furent la cause principale de sa passion pour les peuples premiers. Il décida donc de reprendre la route. Ils se donnèrent rendez-vous à Mexico City "dans un an jour pour jour". Un an plus tard, à la place de Plume, il trouva un courrier laconique à la poste restante : "Je suis désolée, je n'ai pas fini ici. Tu es et tu resteras mon unique amour. Pardon. Plume.
Bien entendu, il se rendît au Venezuela et parcourût la dense forêt de l'Alto Orinoco. Toutes les tribus où il séjournât semblaient la connaître mais quand il tentait d'en savoir plus (Où vivait sa mère, sa famille ? Pourquoi était-elle si loin de chez elle ? Quand reviendrait-elle ?) il se heurtait à un mur de douceur et de gentillesse mais infranchissable. "Les grands Anciens venus d'Inde ? La Source ? Viens on va te montrer comment on pêche avec la liane qui fait dormir les poissons....
Son doctorat ciblé sur les mythes Indo-Européens et ce questionnement incessant sur la quête de son grand amour le mirent sur sa voie.
Il revînt vers son père d'une part pour faire la paix avec lui après trois ans d'absence et pour obtenir quelques moyens pour retourner en Inde, officiellement pour s'intéresser à la civilisation Harrapa de l'Indus. Il nourrissait secrètement l'espoir de retrouver Plume. Sa démarche avouée occupa tout le reste de sa vie et encore aujourd'hui. Quant à son espoir de retrouver la jolie guérisseuse, il ne fut pas comblé. Jusqu'à ce jour où, malgré des recherches très discrètes, il reçu un courrier de Caracas, là encore très laconique "Tu es au bon endroit. Je suis avec toi. Ne cherches pas à me rejoindre. " signé Plume. C'était il y a dix ans....
Elle était donc bien vivante et, mieux, savait ce qu'il faisait. Ce courrier avait été déposé à son hôtel à Srinagar alors qu'il travaillait sur anuttara le principe ultime du Shivaïsme du Cachemire. C'était bien la troisième fois qu'il prenait un cottage au Lalit Grand Palace. Mais comment, depuis le Venezuela, avait-elle pu savoir où et quand il s'installerait là ?
Ce courrier le décida à louer une villa à Bandipora le long de la rivière Jhelum, affluent de l'Indus. Que pouvait bien signifier "être au bon endroit" ? Pendant les neuf années qui suivirent, partageant son temps entre l'Inde et sa propriété française. Il devînt un des plus fins connaisseurs de tout ce qui concernait la région de Srinagar, voire, du Cachemire indien tout entier et même de l’Himalaya. Son Land Rover tout terrain châssis long lui permettait d'aller dans les villages les plus reculés. Il avait acquis la conviction que cette région particulièrement bien protégée avait accueilli depuis au moins trente mille ans une population humaine stable. Ses connaissances en géologie et la datation au carbone 14 de quelques débris d'anciens campement lui avait confirmé cette hypothèse. Rien de bien sensationnel en somme mais il s'obstinait. Il était "au bon endroit". Neuf années donc de quête quasi infructueuse. Jusqu'au jour où, examinant un énième tumulus, un vieil homme vînt le saluer. Il avait déjà discuté avec lui bien des fois et avait appris bien des choses sur les environs et leur histoire. Parfois il parlait des "grands Anciens" et disait qu'ils étaient anormalement grands "vraiment". Assi, comme on l'appelait là-bas, n'avait pas accordé trop d'importance à ces propos. "Les vieux aiment bien nous faire tourner bourrique" pensait-il. Pourtant, cette fois là, le vieux ne dit qu'une chose : "Assi ! tu n'es pas tout à fait au bon endroit, suis-moi...."
- Tu peux montrer cet endroit alors ?
- Oui ! On prends ta voiture demain. Sois chez mon fils à six heures . Je t'amènerai là où il faut.
Archibald s'exécuta.
Au bout d'une cinquantaine de kilomètres de routes puis de chemins ils arrivèrent à l'entrée d'un encaissement entre deux parois vertigineuses au fond duquel circulait un petit torrent. Le vieux s'engagea dans le lit du ru avec Assi à sa suite. Il marchèrent pendant une bonne heure.
Sur la gauche s'ouvrait une toute petite piste qu'on distinguait à peine. Ils s'y engagèrent et grimpèrent encore une bonne demi-heure au milieu d'un maquis d'arbustes très épais. Ils débouchèrent sur une minuscule plate-forme caillouteuse au pied d'une petite falaise granitique. Une faille étroite s'ouvrait en son milieu. A l'entrée de cette déchirure, sur le sol, un pot en terre rempli de sable, dans lequel étaient enfoncées quelques baguettes d'encens consumées. Rien n'indiquait, en dehors de cet artefact, qu'il pouvait s'agir d'un lieu sacré ou de dévotions.
Le vieux se dévêtit et invita ses compagnons à faire de même.
Depuis qu'ils avaient quitté le village et malgré quelques tentatives d'Archibald, le vieux n'avait pas prononcé un mot.
Le vieux se tourna vers Assi et dit :
- Il faut être humble et pur pour entrer ici. La faille est très étroite et tu es grand. Si tu n'es pas sincère sache que la montagne t'écrasera et moi avec.
Il sorti de son sac deux baguettes d'encens, les mis dans ses mains jointes et les porta avec déférence à son front. Il en remis une à Assi qui s'empressa d'accomplir le même rituel.
Les deux hommes enfoncèrent ensuite les baguettes dans le sable du pot.
" Viens ! Suis moi !" dis le vieux
- Comme ça ? Interrogea Assi en montrant sa nudité.
- Oui
Ils s'engagèrent dans la faille. Assi n'était pas rassuré car elle était vraiment étroite d'autant qu'au bout de quelques mètres l'obscurité grandissait. "J'espère que cette aventure vaut le coup. Plume ! Tu devrais me venir en aide là !" Pensa-t-il, mélangeant humour et inquiétude. Le premier destiné à contenir la seconde. Assi fonctionnait toujours ainsi. Ses traits d'humour masquaient invariablement un questionnement. Bien de ses interlocuteurs étaient décontenancés par cette forme d'esprit si particulière. 
Peu à peu la faille s'élargit le Vieux prix la main d'Assi pour le guider jusqu'à ce qu'ils arrivent dans une petite grotte légèrement lumineuse. Une espèce de halo bleuté émanait de la voûte. Assi, émerveillé, se demandait d'où provenait cette lumière. Insectes ? Autre chose ? Un léger voile de brume masquait la pierre. Il n'était pas loin de penser que cette brume elle-même qui en était la source. "- fait comme moi et vide ton esprit." Intima le Vieux en s'allongeant sur le sol "Respire profondément, fermes les yeux, concentres-toi sur ta respiration et rien d'autre. IL doit s'assurer que nos intentions sont pure." Assi ne fit aucune remarque et s'exécuta. Il savait qu'il entrait dans un espace d'initiation où l'impétrant doit faire preuve d'une grande humilité.
Couchés sur le dos, silencieux, parfaitement immobiles les deux hommes restèrent ainsi un temps indéfinissable. Seul le bruit des respiration profondes et les mouvement amples de leurs ventres indiquaient qu'ils étaient en état de veille. Le Vieux murmura "- Surtout n'ouvre pas les yeux maintenant"
A travers ses paupières closes, Asi perçu une lumière bleue, puis d'un jaune bouton d'or et enfin d'une blancheur intense qui le contraignit un moment à serrer au maximum les paupières pour supporter cette intensité lumineuse. L'excitation faillit lui faire perdre le contrôle de sa respiration ventrale. 


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